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Quand on part de rien, on arrive toujours quelque part...

C’est ce que je me suis dit ce matin en buvant mon café au lait (oui, je sais, c’est une hérésie pour le foie... mais j’aime ça), et cela m’a fait penser à Anna Gavalda et son recueil de nouvelles « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part ».

Je me souviens de ce qu’elle avait dit concernant sa façon d’appréhender l’écriture :

  • « Je croise des gens. Je les regarde. Je leur demande à quelle heure ils se lèvent le matin, comment ils font pour vivre et ce qu’ils préfèrent comme dessert par exemple. Ensuite je pense à eux. J’y pense tout le temps. Je revois leur visage, leurs mains et même la couleur de leurs chaussettes. Je pense à eux pendant des heures voire des années et puis un jour, j’essaye d’écrire sur eux. »

Les nouvelles d’Anna Gavalda empruntent leur matière au quotidien et nous parlent de la vie d’aujourd’hui. Ses personnages avec leur langage de tous les jours (le même langage que nous entendons dans les rues, non pas celui que nous rencontrons dans les livres) sont si proches de nous qu’à travers eux il nous semble nous entendre parler.
Son écriture traduit l’esprit du temps et pour ce faire elle utilise une forme d’expression qui est celle du langage ordinaire. Ce langage comme débarrassé de tous tabous, décontracté, parfois un peu cru, un peu brutal un peu choquant va droit à l’essentiel sans aucune hypocrisie et ne cherche pas de forme esthétique.

C’est la vie qui nous est donnée à voir, la vie avec sa tendresse et sa trivialité, sa banalité. Je dirais que ce n’est pas tellement notre propre vie qui nous est donné de voir mais celle que nous observons tous les jours.
Cette vie qui parfois nous déconcerte un peu.

C’est ainsi qu’à travers les nouvelles d’Anna Galvada nous observons ces personnages vivre leur vie actuelle où le téléphone portable, l’ordinateur, le répondeur et autres engins actuels font désormais partie de la vie et rythment nos rituels quotidiens. Dans ces nouvelles, la jeunesse butine, lutine et ne pense pas au lendemain. Libérées, les femmes jouissent d’une sexualité sans entraves et se livrent aux jeux de la séduction avec décontraction. Le côté féminin des hommes surgit un peu plus, et ils deviennent, certains le sont déjà, sensibles, fragiles, complexes ou encore éperdument tendres...

Le thème qui revient le plus souvent dans les nouvelles d’Anna Gavalda est celui de l’amour. L’amour sous toutes ses facettes : le rêve d’amour, le manque, l’absence d’amour, l’amour maternel, l’ancien amour, l’amour désir. Ainsi, dans une nouvelle, une jeune fille raconte à sa sœur “ Mon cœur est comme un grand sac vide, le sac, il est costaud, y pourrait contenir un souk pas possible et pourtant, y a rien dedans ” .

Le titre lui-même du recueil de nouvelles « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part » est très significatif...

La première nouvelle aborde le rêve d’amour qui ne se réalise pas.
Une fille coquette, mignonne et vive qui envoie des fax du côté de Saint Germain-des-Près, espère le grand amour. Nourrie de Sagan et de Baudelaire elle est romantique et sensuelle à la fois. Ce jour là elle croise sur le boulevard un jeune homme au col roulé gris en cachemire, une veste en tweed de chez Old England tout juste sortie des ateliers des Capucines et qui l’invite à dîner au restaurant. Elle est prête à aller jusqu’au bout de son désir. Au restaurant tous deux sont émus lorsque soudain son téléphone portable se met à sonner. Comme un seul homme tous les regards du restaurant sont braqués sur lui qui l’éteint prestement. Ces maudits engins, il en faut toujours un, n’importe où, n’importe quand. Elle est furieuse. Mais elle le sera encore davantage lorsqu’elle l’apercevra un peu plus tard jeter coup d’œil furtif vers la messagerie de son portable. A ce moment là tout bascule. Elle hait Sagan, elle hait Baudelaire, tous ces charlatans qui promettent le grand amour, elle hait son orgueil qui lui fait quitter le jeune homme sur un coup de tête.

On croit apercevoir à travers les tergiversations intime de la jeune fille, les contradictions qui l’habitent. Si elle est prête à se donner au jeune homme inconnu, l’idée qu’il pourrait être un séducteur aux multiples femmes lui est insupportable car secrètement elle avait espéré être la femme de sa vie.

Tous les personnages du livre sont en quête d’amour, ont besoin de tendresse, ils sont relativement libérés vis-à-vis de leur vie, mais en même temps ils ont un peu peur de cette liberté là qui les fragilise.

Pendant des années est l’histoire d’un vieil amour qui ne veut pas mourir.
La vie est une drôle de farceuse. Le jeune homme en question pense toujours à Hélèna qui l’a quitté il y a bien longtemps. Depuis il s’est marié et ses enfants sont la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée. « Une vieille histoire d’amour ne vaut rien à côté de ça. Rien du tout », pense-t-il. Un jour Hélèna lui téléphone, elle veut le rencontrer.« C’est la vie, dit-elle, je ne t’appelle pas pour détricoter le passé ou mettre Paris dans une bouteille tu sais. Je...Je t’appelle parce que j’ai envie de revoir ton visage. C’est tout. C’est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents...ou vers n’importe quel endroit qui a marqué leur vie. Ecoute Pierre je vais mourir. » Il n’a pas pu dormir cette nuit-là. Il ne voulait pas pleurer. Il avait peur de se tromper, de pleurer sur la mort de sa vie intérieure à lui plutôt que sur sa mort à elle. Il savait que s’il commençait, il ne pourrait plus s’arrêter.
Le lendemain ils se rencontrent sur un banc écaillé en face d’une fontaine qui n’avait rien dû cracher depuis le jour de son inauguration. Tout était laid. Triste et laid. Elle lui a dit « j’ai une faveur à te demander, juste une. Je voudrais respirer ton odeur. Elle est allée derrière son dos et elle s’est penchée vers lui. Elle est restée comme ça un long moment et il se sentait terriblement mal. Puis elle lui a dit » Je voudrais que tu ne bouges pas et que tu ne te retourne pas. Je t’en supplie. Je t’en supplie ". Et elle est partie.

Avec sa sensibilité à fleur de peau Anna Gavalda semble aimer les gens et leur vie ordinaire. Qu’ils soient de n’importe quel milieu social elle a observé leurs faiblesses et elle ne les en aime que davantage. Elle semble jeter sur eux un regard tendre et parfois un peu amusé. Avec sa dernière nouvelle qui pourrait être autobiographique, elle semble vouloir démystifier le rôle de l’écrivain et le dépeint sous ses traits les plus communs, voir même un peu comiques.

Epilogue relate la vie d’une jeune femme qui écrit des nouvelles. Elle a acheté un vieil ordinateur d’occasion et elle a fait imprimer cinq de ses récits avant de les envoyer à un éditeur. Elle avoue que ses nouvelles parlent de tout mais surtout d’amour. Trois mois plus tard elle reçoit la convocation d’un éditeur élégant de la rive gauche. Ce jour-là elle se dit « je ne regrette pas tout ce temps passé à me ronger les ongles, et à faire de l’eczéma devant l’écran minuscule de mon ordinateur ».
Ce jour là elle hésite beaucoup sur la tenue vestimentaire qu’elle doit endosser. Finalement elle décide de s’habiller simplement avec des jeans, mais avec de la lingerie à tomber par terre. Elle se dit que ses hommes-là savent. Et elle se dit en même temps « ne m’aimez pas pour mes gros seins ; aimez-moi pour ma substantifique moelle. Ne m’aimez pas pour mon talent ; aimez-moi pour mes page people ». C’est donc par ce qui est secret, par ce qui ne se voit pas au premier coup d’œil mais qui peut se deviner, c’est donc par quelque chose de très intime qu’elle veut le séduire. Mais le jour de l’entretien l’éditeur lui a lâché « Il y a dans votre manuscrit des choses intéressantes et vous avez un certain style, mais nous ne pouvons pas dans l’état actuel des choses le publier ». Elle est tellement déçue par ce refus de son manuscrit qu’elle en reste littéralement paralysée sur son fauteuil. Et elle reste longtemps ainsi sans pouvoir bouger, cela ressemble à une farce tellement c’est incroyable.
Finalement, parce que les bureaux vont fermer il la descendent, avec le fauteuil, sur le trottoir et là elle reste encore longtemps à contempler son désastre. Puis elle se lève enfin et en se dirigeant vers une jeune femme splendide assise sur le socle d’une statue d’Auguste Comte qui attend peut-être son amoureux elle lui fait cadeau de son manuscrit. « Voilà pour que le temps vous paraisse moins long. » lui dit-elle et elle s’en va un peu consolée.

Anna Gavalda a peut-être voulu nous signifier que l’écrivain aussi veut être aimé et cherche l’approbation des éditeurs pour pouvoir atteindre ses lecteurs, mais ne rencontre pas toujours cet amour pour lequel il s’est donné tant de mal...

En épilogue à cette longue pensée du jour, je pourrais dire moi aussi “ Mon cœur est comme un grand sac vide, le sac, il est costaud, y pourrait contenir un souk pas possible, et pourtant, y a rien dedans ”...

P.-S.